Les débats au sujet de la proposition de loi « visant à sortir la France du piège du narcotrafic » ont débuté ce mardi en commission des Lois, j’y ai pris la parole pour exprimer la position du groupe Écologiste et Social sur le texte qui nous est présenté.
« C’est l’État de droit qui est la bonne réponse à la grande délinquance criminelle et non l’effacement de certains de ses principes constituants. »
« Oui, il est temps que notre pays s’engage résolument et sans trembler contre les violences, les crimes et la corruption générés par les trafics de stupéfiants, d’armes ou d’êtres humains qui sont la marque de ce que nous appelons désormais le narcotrafic, dont tous les professionnels concernés ont montré durant les auditions, l’ampleur et la structuration, y compris capitalistique.
Toutes nos villes sont touchées par la grande criminalité organisée et appellent aussi de leurs vœux des moyens ambitieux pour démanteler des organisations criminelles qui pourrissent l’État et pourrissent la vie de nombre de nos quartiers.
Ces trafics affaiblissent les institutions, délégitiment la puissance publique, détruisent le contrat social et augmentent les risques de corruption.
Ces nouveaux défis – intimement liés à la cupidité d’un capitalisme débridé et aux abandons par l’État de ses grandes ambitions – méritent certes des approches nouvelles. Et de ce point de vue, oui, à l’instar du Parquet national financier dont la gauche avait permis la création, la spécialisation de la justice en matière de lutte contre le narco-trafic apparaît comme une nécessité.
Nous plaidons pour frapper ce qui constitue le cœur du pouvoir de ces nouveaux criminels : l’argent. L’argent salement gagné, l’argent qui corrompt, l’argent qui tue… l’argent qu’ils ont et qui manque tant à nos besoins.
Nous aurions tant à faire pour doter nos services – tous nos services, de police, de renseignement, de justice, mais aussi nos services sociaux, et même nos services publics pour être les premiers remparts contre ces économies parallèles. Mais voilà, malgré quelques approches utiles, la proposition de loi issue du Sénat pose bien des questions graves.
En premier lieu, elle élargit le champ de la criminalité organisée, ce qui risque de créer des pertes de temps d’enquêtes, mais aussi des injustices qui pourront, demain, viser des collectifs militants (comme cela a été le cas lors des gilets jaunes ou dans les mobilisations de Bure).
Nous avons besoin de permettre à nos enquêteurs de cibler des criminels de haut niveau, de leur donner les moyens de surveillance et de filature adaptés, modernes, puissants pour viser le haut du spectre et non de façon indiscriminée des citoyens parfois victimes de cette grande délinquance organisée. Vous semblez plutôt, Messieurs les Ministres, comme pris par une sorte de névrose orwellienne de contrôle, de surveillance et d’enfermement dont il est quand même démontré, depuis Ronald Reagan, et même avant qu’elles n’ont en rien empêché le développement des multinationales du crime, parfois même avec la complicité de quelques États voyous. Pêle-mêle, donc vous proposez : déchiffrements des messages cryptés mettant directement sous surveillance les conversations privées de centaines de milliers de personnes que nous n’aurons jamais les moyens de traiter, mais qui risquent de constituer autant de fichiers ; abaissement des seuils de sécurité informatique mettant en danger notre propre sécurité numérique nationale et menaces des principaux opérateurs de quitter le territoire national, interceptions satellitaires, sonorisation et captation vidéos des appareils fixes et mobiles, utilisation des algorithmes de surveillance…. Des moyens déraisonnables alors qu’il s’agit d’autres mesures posent questions : ainsi le dossier coffre, nouvelle procédure ubuesque et sinueuse, qui crée un précédent inquiétant au regard des principes constitutionnels des droits de la défense et de la procédure contradictoire.
Vous le dites vous-même : vous voulez adapter le droit pénal contre le crime organisé en vous inspirant des lois contre le terrorisme ; or, ces lois contre le terrorisme sont des lois exceptionnelles, et même, hélas, des lois d’exception. Nous étions peu nombreux, en 2015, à nous y opposer, il y avait à l’époque des gens de droite plus farouchement défenseur des libertés, je pense à Laure de la Raudière ou même à Claude Malhuret qui à l’époque avait avec moi pris position contre ce qui était un engrenage dans lequel vous semblez mettre les deux bras. Aujourd’hui, alors que vous demandez d’étendre encore les techniques de surveillance, aucune évaluation n’a été transmise aux députés sur les effets réels des outils déjà existants. Quel est donc ce nouveau mode de fabrique de la loi qui consiste, comme vous venez de le soutenir pour la justice pénale des mineurs, à légiférer sans étude préalable sérieuse ?
Je vous mets en garde contre cette névrose sécuritaire qui nous fait passer à côté de la modernisation de la justice, de ses moyens et de ses équipements et qui passe aussi outre la prise en compte de la population y compris dans les territoires ultramarins.
En l’état, le groupe écologiste et social souhaite montrer – car ce sera là notre force – que c’est l’État de droit la bonne réponse à la grande délinquance criminelle et non l’effacement de certains de ses principes constituants.«