A lire dans l’hebdo des socialistes n° 536 du 27 juin 2009 : un débat sur la gestation pour autrui avec Pouria Amirshahi, Gilles Bon-Maury et Gaëlle Lenfant .Ce sont peut-être les questions les plus médiatisées de ces états généraux : celles liées à la parentalité et l’aide médicale à la procréation. Les socialistes ont depuis longtemps ouvert le débat qui déterminera, selon eux, un choix de société. S’ils s’accordent sur la possibilité pour des couples de même sexe d’élever un enfant, ils discutent encore de la possibilité pour une femme de porter l’enfant d’autrui. Gilles Bon-Maury, président d’Homosexualités et socialisme (HES), Gaëlle Lenfant, secrétaire nationale du PS aux droits des femmes et Pouria Amirshahi, secrétaire national du PS aux droits de l’Homme, livrent à l’Hebdo leurs réflexions et leurs interrogations.
Le débat sur la gestation pour autrui (GPA) prend de l’ampleur en France. La vraie question n’est-elle pas de savoir si l’intérêt de l’enfant à naître est respecté?
Gilles Bon-Maury: Le plus important c’est la capacité de la famille à rendre heureux l’enfant et à le mener à l’âge adulte dans les meilleures conditions. Dans la contribution d’HES sur ce sujet, nous partons d’un projet familial déposé par les parents intentionnels. Il est lié à l’engagement, et pas à la biologie, encore moins à la génétique. Et les parents intentionnels ne peuvent être discriminés en fonction de leur sexualité ou du modèle de famille qui permet la naissance de l’enfant. Par ailleurs, il faut accorder aux gestatrices un rôle dans le projet familial. Elles ne sont pas uniquement présentes dans un moment éphémère de neuf mois. Elles ne sont pas parents, mais elles ont leur place.
Gaëlle Lenfant: L’essentiel pour l’enfant est d’être entouré par ses parents, et non leur sexe ou leur sexualité, en effet. Mais sur la GPA, j’ai une position différente. Il faut souhaiter, comme modèle de société, l’épanouissement de chaque personne. Et selon moi, la gestation pour autrui est aujourd’hui une réalité terrible. Il faut réussir à sortir de ce qu’on voudrait, et voir ce qui se passe réellement. La marchandisation des corps existe bel et bien. Il y a donc des êtres qui sont exploités et d’autres qui sont exploiteurs. Ce qui ne correspond pas à l’objectif de l’épanouissement de tous.
Pouria Amirshahi: Le problème doit être posé sans détour : au nom du désir d’enfants, qu’on ne peut pas avoir «naturellement», tous les moyens sont-ils permis ? Peut-on aller jusqu’à la «location» du ventre d’une femme? Femme qui le fera peut-être par compassion, ou avec plaisir, mais peut-être aussi parce qu’elle a besoin d’argent. La société est-elle sommée de répondre d’abord à ce désir? Ne peut-elle pas aussi accompagner des personnes pour qu’elles sachent accepter la blessure de ne pas pouvoir avoir d’enfant, plutôt que coûte que coûte leur trouver les voies et les moyens d’en avoir? Et, in fine, si ce désir d’enfant reste plus fort que tout, l’adoption n’est-elle pas une solution plus souhaitable et moins dangereuse?
G. B-M: L’abominable existe. En Ukraine ou en Inde, la GPA est anonyme et synonyme de commerce : des femmes, parce qu’elles ont besoin d’argent, se proposent de porter un enfant. On ne peut évidemment pas l’accepter. Mais nous ne pouvons pas nier l’existence d’un tourisme procréatif du fait de l’interdiction française. Nous pensons qu’un cadre légal est nécessaire. La Grèce ou le Royaume-Uni l’ont fait. Ainsi, HES a proposé un cadre pour que «cela se passe bien»: nous pensons par exemple que l’État doit intervenir par le biais de l’agence de biomédecine qui s’assurerait des motivations physiques et psychologiques de la gestatrice et de la qualité du projet familial. Nous pensons également que la gestatrice doit déjà être mère et ne pourra porter plus de deux enfants pour autrui.
P.A.: Je comprends bien ce raisonnement. Je sors de quatre ans de travail social et l’intérêt supérieur de l’enfant comme le projet de vie sont des notions qui me parlent. Attention toutefois à ne pas culpabiliser la porteuse. Pardon de la provocation, mais c’est un peu comme si on demandait à une prostituée si elle a des «motivations saines»? La question est plutôt de savoir si le vrai motif n’est pas la pauvreté. Avec 8 millions de personnes pauvres, la France est-elle vraiment épargnée par ce risque?
G. L.: D’autant qu’il y a quelque chose d’extrêmement dérangeant à recourir à un autre humain pour porter l’enfant. Ne cherche-t-on pas trop à utiliser la biologie pour que «mon enfant me ressemble absolument» et possède les gamètes du couple demandeur. Et demain pourquoi ne pas autoriser le clonage?
G.B-M.: Ce n’est pas le même débat. C’est justement parce qu’on accepte qu’une famille repose, non pas sur des vérités biologiques, mais sur des réalités vécues, que nous défendons l’idée que des personnes participent à la conception sans être les parents, comme c’est le cas dans le don de gamètes ou la GPA.
Vous avez évoqué le don de gamètes, un procédé légal en France. Faut-il lever l’anonymat qui concerne aujourd’hui tous les donneurs?
G.B-M.: Nous souhaitons la création d’un conservatoire des origines comme il en existe dans d’autres pays, pour permettre à l’enfant devenu majeur de solliciter, non pas directement le donneur ou la donneuse, mais faire en sorte que la personne en question puisse être interrogée. Et si les deux sont d’accord, et seulement dans ce cas, le géniteur et l’enfant né de son don peuvent être mis en relation. On ne peut pas mentir à un enfant en lui faisant croire que son père ou sa mère est le géniteur. Savoir quel est son patrimoine génétique est important. Il n’a pas de réalité sociale, mais il fait partie, parmi d’autres marqueurs, de l’identité.
P.A.: Ma position est plus tranchée : il faut maintenir l’anonymat. La parentalité n’est pas une question biologique, mais une fonction sociale. Lever le secret, c’est aussi faire du tort. L’enfant qui sait que ses parents ne sont pas ses géniteurs doit aussi pouvoir vivre avec cette fissure identitaire, comme nous devons tous être accompagnés pour vivre avec nos blessures et nos doutes. C’est plutôt en ce sens qu’il faut avancer, les exceptions ne doivent pas devenir la règle.
La loi peut-elle vraiment encadrer la science? Ne sera-t-elle pas toujours en retard sur les avancées techniques?
G.B-M.: Les socialistes, depuis toujours, parlent de maîtriser la science. Aujourd’hui toutefois, la science assume sa place. Même l’académie de médecine, très conservatrice, a estimé qu’elle n’avait pas d’avis à donner sur le caractère bon ou mauvais de la GPA. Elle a estimé qu’il relevait du champ de la politique. La science peut beaucoup de choses, elle peut manipuler le vivant, mais c’est la société qui décide ce qu’elle en fait. N’oublions pas que certaines révolutions scientifiques, comme la pilule contraceptive, ont permis des évolutions essentielles de la société.
G. L.: Le clonage par exemple est aujourd’hui techniquement faisable. C’est aussi une révolution scientifique à proprement parler, mais pour la société, le clonage représente un danger. Il faut donc constamment rappeler que les objectifs de la société priment. Les décideurs politiques fixent les limites.
P.A.: La science est une condition et un moyen de notre émancipation, si elle est mise au service de l’humanisme et non d’un dogme ou d’un intérêt privé. Toutes les questions que soulève la science biologique moderne renvoient d’abord à la dimension ontologique de l’humain : soit l’homme est maître de sa destinée et de son environnement et il franchit des étapes de civilisation ; soit il devient son propre créateur, son propre Frankenstein et finit par se détruire, remettant toujours en cause ce qu’il est : l’eugénisme que permet le clonage en est un exemple.
Propos recueillis par Fanny Costes